L’audition commence à huit heures trente-cinq.
M. le président Noël Mamère. Je vous remercie, mon général, d’avoir répondu à notre invitation. Je rappelle que cette commission d’enquête a été constituée à la suite des événements de Sivens. Nous sommes parfaitement conscients de l’impossibilité pour l’Assemblée de mener une enquête sur des éléments relevant de l’instruction judiciaire ; ce qui ne nous empêchera pas, néanmoins, de revenir sur un certain nombre de points.
En vertu de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous réserve, notamment, des dispositions de l’article 226-13 du code pénal réprimant la violation du secret professionnel. Cette même ordonnance exige des personnes auditionnées qu’elles prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Le général Denis Favier prête serment.)
Général Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale. J’ai suivi les travaux et auditions que vous avez conduits et suis globalement en phase avec les avis émis par l’ensemble des personnes qui sont intervenues avant moi. C’est pourquoi je ne reviendrai pas sur les principes généraux du maintien de l’ordre.
Nous faisons face à des situations complexes nouvelles en matière de maintien de l’ordre et devons par conséquent prendre des mesures importantes pour garantir à la fois la liberté d’expression mais également la sécurité. Afin d’entrer dans le vif du sujet, je limiterai mon propos à dix propositions.
La première concerne le renforcement du dialogue entre organisateurs et manifestants. Ce dialogue ne me paraît pas assez affirmé : il faut le développer non seulement en amont mais également au cours de la manifestation. J’y vois une des garanties de son bon déroulement en permettant l’exercice, en sécurité, du droit de manifester. Un important travail reste à réaliser en la matière entre organisateurs et pouvoirs publics et qui conduira à redéfinir le cadre juridique, notamment lorsque les organisateurs ne respectent pas leurs engagements car un vide juridique subsiste en la matière. Il faudra ainsi rappeler certaines règles et pleinement responsabiliser les organisateurs.
La deuxième piste touche à l’interdiction administrative individuelle de manifester. Le cadre juridique actuel permet le libre exercice du droit de manifester pourvu qu’il n’entrave pas le droit de circuler de ceux qui ne manifestent pas et pourvu qu’il ne perturbe pas les conditions générales de sécurité. Le droit de manifester, qu’il ne saurait être question de remettre en cause, doit être encadré par la définition de l’interdiction administrative. Nous avons en effet affaire à des individus connus et qui se montrent déterminés, violents à l’occasion de manifestations dont nous devons pouvoir leur interdire l’accès. C’est par ce moyen que nous sommes parvenus à enrayer les violences dans les stades.
Troisième point, il s’agirait d’affermir le rôle, d’affirmer le primat, même, de l’autorité civile dans les opérations d’ordre public. Le préfet joue un rôle clef. Le décret de 2004 rappelle explicitement quels sont ses pouvoirs. De notre point de vue, il appartient au préfet ou à son représentant – le directeur départemental de la sécurité publique ou le commandant de groupement – d’assurer la responsabilité des opérations. Si le préfet définit les effets à produire, il revient au chef opérationnel d’en tenir compte pour concevoir la manœuvre de terrain. Or la répartition des rôles est marquée d’une certaine ambiguïté. Une clarification s’impose sur l’articulation entre autorité civile et commandant opérationnel, et suppose entre eux un dialogue permanent.
Il faut que le préfet, puisque chargé des opérations d’ordre public, soit très régulièrement présent sur les sites de manifestations. Il faut donc travailler à une meilleure formation et à une meilleure information des préfets aux conditions d’exercice de l’ordre public. Le préfet Lambert conduit d’ailleurs une mission qui vise à mieux former les préfets aux situations délicates. De leur côté, gendarmes et policiers doivent être en mesure d’apporter au préfet des outils destinés à l’aider dans ses décisions. À cet effet, en lien avec le directeur général de la police nationale, nous proposons aux préfets la mise à disposition de cellules de planification lorsqu’ils ont à traiter des situations graves d’ordre public – nous l’avons fait en Loire-Atlantique, dans les Bouches-du-Rhône, à chaque fois avec des résultats positifs.
La traçabilité des directives données par l’autorité civile constitue mon quatrième point. Jusqu’au rattachement de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur en 2009, les ordres donnés s’inscrivaient dans le formalisme des réquisitions. Ce cadre, certes trop rigide, n’en constituait pas moins une garantie forte pour contrôler l’emploi de la force. Cela étant, si une évolution s’imposait, on est peut-être allé un peu trop loin.
Il existait alors trois types de réquisition. La réquisition générale mettait une force à disposition de l’autorité administrative. La réquisition particulière, ensuite, assignait une mission à cette force, englobant les questions d’emploi de la force donc, par exemple, le tir de grenades lacrymogènes. Enfin, la réquisition complémentaire spéciale prévoyait l’usage des armes, donc l’emploi de certaines munitions – il s’agissait d’un document papier donné par l’autorité civile au responsable de la force et qui comprenait des termes très forts. Je suis passé par une école d’officiers il y a plus de trente ans et je me souviens très bien du libellé exact d’une telle réquisition : l’emploi de la force comportait l’usage des armes. Sa communication au commandant de la force nous faisait alors bien mesurer l’importance du document qui, aujourd’hui, du fait de la suppression du système général de réquisition, fait défaut. Je souhaite par conséquent que nous travaillions ensemble à la définition d’un cadre souple, adapté à l’urgence – qui permette la réactivité nécessaire en cas de situation « chaude ». Il faudrait corriger ce vide juridique assez rapidement.
J’évoquerai, en cinquième lieu, la lisibilité des intentions des forces de l’ordre, la lisibilité des sommations. La communication entre acteurs de sécurité doit être claire. J’évoquais précédemment le rôle des organisateurs des manifestations ; il faut que les intentions des forces de l’ordre, de leur côté, soient également présentées de façon explicite. Plusieurs dispositions en vigueur du code de sécurité intérieure devraient être précisées. À titre d’exemple, les trois sommations d’usage ne comportent qu’une seule formule : « On va faire usage de la force ! » Ces sommations sont faites à voix haute et sont éventuellement accompagnées de codes sonores mais il est impossible de distinguer entre les trois sommations.
Que signifie l’expression : « On va faire usage de la force » ? Que l’escadron de gendarmerie mobile peut être amené à faire un bond offensif pour dégager un axe ; cela peut aussi signifier que l’escadron en question peut être conduit à utiliser des grenades lacrymogènes ou, plus grave, d’autres munitions. Or il n’existe pas de gradation entre ces différents stades d’engagement ; ces sommations faites à voix haute ne sont pas intelligibles : personne ne les entend – chacun sait bien que, dans une manifestation, il y a du bruit. Nos intentions doivent donc être mieux perçues. En outre, il est temps de définir un code sonore et visuel – par exemple par le moyen de fusées éclairantes – pour accompagner les sommations orales. Ce code, national, devra être connu des manifestants.
Le réexamen des missions des unités de forces mobiles – compagnies républicaines de sécurité (CRS) et escadrons de gendarmerie mobile (EGM) – constituera mon sixième point. Nous avons besoin de ces forces : la vie démocratique suppose que l’ordre règne. Je n’évoquerai que la gendarmerie – que je connais bien puisque je la dirige. Nous comptons 108 EGM soit 12 000 hommes. Il s’agit d’une force considérable employée au maintien de l’ordre quand nécessaire, mais également, au quotidien, pour la sécurité générale. Si nous réussissons en la matière dans les zones de priorité sécuritaires (ZPS), c’est parce que nous avons placé dans chacune de ces zones un peloton de gendarmerie mobile. Si nous obtenons de bons résultats dans la lutte contre les cambriolages, c’est parce que la gendarmerie mobile concourt à sécuriser les territoires.
En complément de ces missions d’ordre public et de sécurisation générale, certaines missions ne me semblent pas devoir être conduites par les forces mobiles. Trop nombreuses, les gardes statiques, improductives en matière de sécurité, pourraient être assurées par d’autres forces – je pense à la garde d’ambassades, à la garde de différents bâtiments publics, comme le Palais de justice à Paris. Mobiliser des forces de haute compétence pour effectuer des missions de cette nature n’est pas satisfaisant. Cette question me conduit logiquement à mon septième point : la formation des unités mobiles.
Ces dernières, réputées y compris à l’étranger, sont soumises à un fort taux d’engagement : plus de 220 jours par an pour un EGM – c’est considérable. Nous devons pouvoir dégager les escadrons de certaines missions pour renforcer leur formation qui n’est pas satisfaisante au vu du rythme évoqué. Les EGM passent en effet une fois tous les trois ans par le centre national d’entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier – de réputation internationale, au point de recevoir de nombreuses délégations étrangères. Il faudrait que nos escadrons y séjournent au moins une fois tous les deux ans et pour cela, je le répète, les dégager de certaines missions comme les gardes statiques.
Huitième point : l’emploi des armes de force intermédiaire. La gendarmerie mobile a développé différents moyens pour permettre un engagement gradué des escadrons. Je défends fortement les moyens de force intermédiaire, à condition qu’ils soient encadrés – je pense aux lanceurs de balles de défense qui permettent de tirer des munitions en gomme pour éviter d’engager des armes à feu. Je souhaite que ces armes soient équipées de systèmes de visée afin de gagner en précision et de porter le juste coup. Là encore la situation mérite clarification : certaines armes – les munitions lacrymogènes sont également concernées – doivent être consolidées et pourvues de systèmes d’aide à la visée.
J’en viens à mon neuvième point : la judiciarisation du maintien de l’ordre. Il me semble nécessaire de continuer à travailler aux interpellations des individus dangereux – meneurs, casseurs – qui se trouvent en face de nous, même si la mission principale des escadrons est bien d’assurer l’ordre public. Il faudrait engager, devant les escadrons, des équipes plus mobiles à même d’interpeller les responsables de violences particulières. Nous devons donc également être capables, en termes judiciaires, de les confondre – d’apporter des éléments de preuve, c’est-à-dire être capables de les identifier et de les lier directement à un fait. Or les individus en question sont souvent casqués, parfois cagoulés. Il s’agit de développer une action cohérente avec l’autorité judiciaire afin que ces individus soient éventuellement condamnés et, si c’est le cas, faire en sorte qu’ils tombent sous le coup d’une interdiction administrative de manifestation.
Nous devons distinguer, dans une manifestation, les forces de sécurité publique des forces d’ordre public. Je ne suis pas du tout favorable à ce qu’on mélange dans une même unité un engagement en tenue et un engagement en civil, mélange qui nuirait à la lisibilité de l’action des forces de l’ordre. Les forces de maintien de l’ordre doivent être appuyées par des forces de sécurité publique générale qui doivent, elles, conduire des actions de procédure judiciaire dans le plus strict respect de la répartition des missions.
Le dixième et dernier point porte sur les nouvelles technologies. Nous devons anticiper les opérations d’ordre public pour optimiser les capacités offertes par la vidéo-protection à des fins, notamment, de police judiciaire. Par ailleurs, nous ne sommes pas assez performants pour tout ce qui concerne les réseaux sociaux : un travail colossal reste à mener dans l’exploitation des métadonnées pour développer une analyse prédictive des situations d’ordre public – il s’agirait d’examiner les situations avec la plus grande exactitude possible pour mieux dimensionner le nombre de forces engagées.
Nous devons par ailleurs, en cours d’opérations, aller plus loin dans l’exploitation des réseaux sociaux. À l’occasion de manifestations, on observe que, par le biais de Twitter, de textos, des consignes de déplacement de tel point à tel autre sont données et les forces de l’ordre en sont réduites à suivre plus qu’à anticiper. De ce fait, les réactions ne sont pas forcément élaborées tactiquement au point qu’il arrive que des unités se dispersent et perdent leur force opérationnelle – point de départ de situations susceptibles de dégénérer.
L’idée peut choquer mais il faudra examiner les conditions permettant, en situation dégradée, d’être plus contraignants sur les réseaux sociaux, d’examiner, sous le contrôle de l’autorité judiciaire et des autorités administratives, la question du brouillage et celle de l’interception de certains textos.
Enfin, il faudra aller le plus loin possible en matière d’optimisation des dispositifs de vidéo-protection pour confondre les individus coupables de violences.
M. Pascal Popelin, rapporteur. Je vous remercie, mon général, d’avoir privilégié les propositions concrètes : au stade où en sont nos auditions, c’était en effet le choix le plus opportun. Je vous poserai trois séries de questions.
La première concerne les opérations de maintien de l’ordre proprement dites.
Les réductions d’effectifs des années récentes, qui ont touché les unités de CRS et de gendarmerie mobile et conduit à leur reconfiguration, ont-elles entamé l’efficacité du dispositif national de maintien de l’ordre ?
Plus précisément, pour ce qui est des armes, l’article D211-17 du code de la sécurité intérieure énumère les armes à feu susceptibles d’être utilisées pour le maintien de l’ordre public sans toutefois établir de hiérarchie quant à leurs effets physiques ou leur possible dangerosité. Dès lors, il ne prévoit pas de hiérarchie dans leur utilisation. Selon vous, faut-il modifier ces dispositions afin d’assurer une gradation de la réponse des forces de l’ordre en fonction des effets de ces équipements ?
De même, les munitions susceptibles d’être employées sont classifiées selon le vecteur utilisé et non selon l’effet qu’elles produisent. Ne faudrait-il pas inverser cette logique ou affiner la classification en prenant en compte ces deux critères ? J’en profite pour dire un mot sur l’interdiction des grenades offensives. Des réflexions sont-elles en cours sur la conception d’équipements de substitution, sachant que notre préoccupation est de concilier deux exigences : maintenir l’éventail opérationnel le plus étendu possible pour assurer une gradation effective et efficace de la réponse tout en préservant l’intégrité physique des manifestants ?
Ma deuxième série de questions porte sur les « zones à défendre » (ZAD).
Les médias ont évoqué l’existence de guides à l’usage des « zadistes » qui indiqueraient, notamment, comment fabriquer et utiliser des engins explosifs et incendiaires. Les vidéos diffusées sur Internet témoignent de l’utilisation de bonbonnes de gaz explosives mais sans qu’il soit possible de déterminer s’il s’agit de vrais engins explosifs ou d’engins factices destinés à faire perdre du temps aux forces de l’ordre. Selon vous, ces engins, ou du moins certains d’entre eux, sont-ils destinés à réellement exploser et, le cas échéant, pouvez-vous nous détailler la nature de ces engins et préciser s’ils ont été effectivement utilisés par les contestataires à l’encontre des forces de l’ordre ? Accessoirement, si le fameux guide du zadiste existait et si, par un biais ou par un autre, la commission pouvait en récupérer un exemplaire, cela pourrait nous intéresser.
Par ailleurs, un certain flou entoure la nature et le degré de violence auquel les forces de l’ordre sont confrontées. De quel type de violence s’agit-il ? On parle de jets d’acides – démentis. Qu’en est-il réellement ?
Dispose-t-on de statistiques sur le nombre de blessés du côté des manifestants et du côté des forces de l’ordre au cours des opérations de maintien de l’ordre liées à l’existence de ZAD, sur les causes de ces blessures et sur leur gravité ? Je n’attends pas dès à présent une réponse chiffrée mais des compléments d’information pourraient nous être adressés par écrit en la matière.
J’en viens à ma troisième série de questions.
Vous avez évoqué le rôle des préfets. Si j’ai bien compris, vous n’êtes pas favorable au système des réquisitions mais souhaitez qu’existent des écrits à tel stade de l’engagement des forces. Pouvez-vous vous montrer un peu plus précis sur ce point ?
Je terminerai avec l’interdiction individuelle de manifester. Vous avez, à ce sujet, établi un parallèle avec les manifestations sportives. Il se trouve que j’ai soulevé la question lors de l’audition du ministre de l’Intérieur, lequel a expliqué qu’il était plus aisé de procéder à des interdictions de stade parce qu’il s’agissait d’un lieu clos, que de procéder à des interdictions de manifester sur la voie publique. Comment, donc, appliquer cette interdiction individuelle de manifester ? J’avais proposé qu’on oblige un manifestant connu et condamné pour violences à l’occasion de manifestations à se présenter dans un commissariat ou une gendarmerie. Mais qu’en fait-on une fois qu’il s’est présenté ? Le retient-on, le laisse-t-on repartir ?
M. le président. J’ajouterai une question, mon général, sur la présence de l’autorité civile lors des manifestations, en revenant sur ce qui s’est passé à Sivens : pensez-vous que si le préfet avait été sur place, nous aurions pu éviter le drame qui s’est produit ?
Général Denis Favier. Les escadrons de gendarmerie mobile ont consenti le gros des efforts qu’impliquait la révision générale des politiques publiques (RGPP) : nous avons procédé à la dissolution de 15 escadrons sur quelque 120. Parallèlement, nous avons perdu des missions comme celle des centres de rétention administrative. Nous n’en avons pas moins un taux d’engagement important. Aussi les escadrons sont-ils soumis à une forte pression opérationnelle qui n’affecte pas la conduite des opérations mais le temps de récupération et de formation. Au total, nous n’avons pas perdu en efficacité – la gendarmerie mobile a continué de développer des capacités fortes et des savoir-faire reconnus – mais le taux d’engagement, je le répète, est important. Je rappelle au passage notre engagement outre-mer où seuls des escadrons de gendarmerie mobile assurent l’ordre public. Sur les 108 escadrons, 20 sont engagés en permanence outre-mer – c’est considérable, si bien que si nous retirions ces 20 escadrons, la sécurité publique générale n’y serait plus assurée.
Pour ce qui concerne les munitions et les armes à feu, nous devons établir leur hiérarchisation avec plus de clarté. Nous pouvons distinguer quatre niveaux : l’emploi de la force, sans munitions particulières, se caractérise uniquement par des procédés tactiques, un mouvement offensif pour dégager un axe ; ensuite, nous avons les moyens de force intermédiaire – parmi lesquels figureront, par exemple les grenades lacrymogènes –, stade, là aussi, à clarifier ; puis nous avons les munitions assourdissantes – dont il convient de faire une catégorie particulière – ; enfin, nous avons l’emploi des armes, auquel on n’a jamais recours en France. Cette dernière catégorie n’est pas à écarter dans des situations extrêmes de maintien de l’ordre ; le code de sécurité intérieure doit par conséquent la définir clairement. Ces quatre niveaux sont rationnels et personne ne les conteste.
J’en viens aux vecteurs. Une munition, selon qu’elle est lancée à la main ou avec un lanceur, change de catégorie. Le débat doit donc davantage porter sur l’effet de la munition que sur son vecteur. La commission pourrait contribuer assez facilement à clarifier ce point.
Pour ce qui est des ZAD, nous faisons face à une opposition nouvelle avec des gens implantés sur un territoire qu’ils défendent selon des modes d’action que nous ne connaissions pas – vous en avez évoqué un, Monsieur le rapporteur – et sur lesquels nous vous communiquerons des éléments techniques d’appréciation, notamment sur ce qui s’est passé à Notre-Dame-des-Landes et sur d’autres sites. Nous avons été confrontés à des situations de blocage très tendues. L’engagement avec les forces de l’ordre est préparé par les manifestants qui utilisent non seulement des moyens passifs pour empêcher ces dernières d’agir, mais aussi des moyens offensifs – si ce n’est des jets d’acide, en tout cas des cocktails Molotov ou des bouteilles incendiaires de nature plus explosive. Nous vous fournirons des éléments statistiques concernant les blessés : on en compte davantage en 2014 qu’en 2013 ou qu’en 2000.
Le principe du maintien de l’ordre est d’assurer la primauté du préfet ou de son représentant – sous-préfet, directeur départemental de la sécurité publique ou commandant de groupement – qui, très proche de lui, transmet ses intentions. Il faut que l’autorité civile soit imprégnée des conditions d’exercice de la manœuvre, qu’elle connaisse très clairement les conditions d’engagement, les effets des munitions, ceux d’un procédé tactique. Un travail de formation très important est donc nécessaire. Je suis à cet égard tout à fait prêt à accueillir les préfets au centre de Saint-Astier, avant qu’ils ne prennent leurs premières fonctions départementales.
En effet, monsieur le rapporteur, je ne souhaite pas en revenir au système des réquisitions. Le système en vigueur, fluide, fonctionne très bien. Il nous faut toutefois préciser la question des ordres donnés sur l’engagement des munitions à fort effet. Nous devrions sur ce point établir un protocole assez proche de ce qui existait par le passé. Il s’agit de responsabiliser le préfet qui rédige le papier et le commandant de la force qui le reçoit et comprend bien qu’on change de registre.
Pour ce qui est de l’interdiction individuelle de manifestation, il est vrai que les opérations de maintien de l’ordre public se déroulent dans des espaces ouverts et le dispositif de contrôle n’est de ce fait pas facile à assurer. Nous sommes cependant capables de suivre les meneurs et, par le biais d’un dispositif de préfiltrage, de commencer un tri. L’interdiction que je propose permet à coup sûr de contrôler les individus dangereux en amont du déroulement de la manifestation. Un tel dispositif est sans doute difficile à mettre en place mais pas impossible au vu des moyens techniques dont nous disposons.
Enfin, monsieur le président, je continue d’insister sur le rôle du préfet dans la conception, mais également en matière de visites sur le terrain, de conduite opérationnelle.
Mme Marie-George Buffet. Je vous remercie, général, pour la qualité de votre exposé et pour vos propositions.
Je reviens sur les rapports entre l’autorité civile et les forces opérationnelles – débat qui occupe la commission d’enquête depuis sa constitution. À vous entendre, j’ai l’impression que ce qui vous importe, en particulier dans les propositions du ministre d’une présence permanente de l’autorité civile sur les lieux des manifestations, d’une formation des autorités civiles par le préfet Lambert, c’est la clarté des consignes données et l’engagement, à travers un protocole, de l’autorité civile sur le contenu même de ces consignes. Le confirmez-vous ?
Ensuite, votre première proposition me préoccupe. Comment responsabiliser les organisateurs ? On peut certes y parvenir quant au déroulement de « leur » manifestation, ce qui est déjà le cas dans le cadre des négociations préalables habituelles avec les organisateurs traditionnels, historiques même, des manifestations sociales, démocratiques. Mais il faut faire attention à ne pas faire porter la responsabilité aux organisateurs quand ils sont eux-mêmes en butte à ces casseurs d’un nouveau genre, qui pratiquent l’intrusion – on l’a vu lors des manifestations contre le contrat première embauche (CPE). En effet, si les organisateurs répondaient à ces intrusions de manière trop ferme, ils seraient eux-mêmes menacés de sanctions judiciaires.
Ma troisième question porte sur des missions que vous devez assumer et qui ne correspondent pas à ce que vous avez reçu comme formation, notamment ces gardes statiques dans la zone capitale. Faut-il inventer une nouvelle force chargée de ce type de mission ?
Enfin, vous semblez estimer possible l’interdiction individuelle de manifestation grâce aux moyens actuels. Je suis sceptique car nous n’avons pas affaire tout à fait au même public que celui visé par une interdiction d’aller dans un stade. De plus, une telle proposition comporte un risque d’atteinte au droit de manifester.
M. Gwenegan Bui. Mon général, votre décision de ne plus diviser vos escadrons en phase opérationnelle risque-t-elle d’amenuiser les capacités de la gendarmerie mobile à répondre aux sollicitations de maintien de l’ordre ? Et, dans le cadre de votre doctrine d’emploi, cette décision est-elle amenée à perdurer ?
Ensuite, quel est le quotidien d’un escadron de gendarmes mobiles quant à la durée moyenne d’une intervention ? Comment s’opèrent les relèves et de quelle manière sont déterminées les fins de mission ? En effet, quand des hommes sont dans une situation d’affrontement, ils se fatiguent ; or cette fatigue est-elle prise en compte dans les rotations ?
Ma troisième question porte sur la formation de la gendarmerie départementale pour les opérations de maintien de l’ordre. Parfois, à cause d’un événement imprévu, les escadrons de gendarmes mobiles ne peuvent arriver à temps et les gendarmes départementaux doivent effectuer les premières périodes. Or, il me semble que la formation que j’évoque est insuffisante. J’ai pu constater en tout cas, dans le Finistère, que les gendarmes départementaux sont exposés.
Enfin, vous avez rappelé que seule la gendarmerie mobile était présente outre-mer ; or, à ma connaissance, aucun texte ne répartit ces zones entre la gendarmerie et la police. La situation que vous évoquez relève-t-elle d’un droit coutumier et, si ce n’est pas le cas, ne faut-il pas prévoir un texte ?
M. Philippe Goujon. À quel point, mon général, l’affirmation du rôle de l’autorité civile est-elle susceptible d’entrer en conflit avec le commandement tactique ?
Vous êtes revenu par ailleurs sur les mesures préventives – que je soutiens – mais, en aval, pouvez-vous nous donner votre appréciation sur la réponse pénale apportée à l’issue des manifestations ? Les condamnations vous paraissent-elles proportionnées ?
En outre, à force de réduire les armes et moyens qui permettent de tenir les manifestants à distance, ne risquons-nous pas d’aboutir à l’inverse du but recherché, c’est-à-dire à un rapprochement des manifestants et des forces de maintien de l’ordre ? Plus se développent des phénomènes de guérilla urbaine – même si le terme est un peu fort – plus on désarme les forces de sécurité. Cela pose-t-il problème selon vous ?
Comme pour la police, qui mêle forces de maintien de l’ordre et de sécurité générale, maintenez-vous votre position consistant à ne pas vouloir engager d’autres forces de sécurité pour le maintien de l’ordre, notamment pour les interpellations, parfois difficiles à réaliser dans la configuration actuelle ?
La protection fonctionnelle des gendarmes vous paraît-elle suffisante ?
Ensuite, vous avez évoqué les gardes statiques ainsi que nombre de charges indues. La garde du Palais de justice a fait l’objet d’un rapport : en a-t-il été tenu compte ? Pouvez-vous nous informer sur la répartition des missions des EGM entre le maintien de l’ordre, les services d’ordre, la sécurité générale, les renforts en ZSP… ? Car plus on sollicite les EGM, plus leurs interventions pour assurer le maintien de l’ordre sont susceptibles d’être tendues – je pense aux temps de transport, au fait de savoir si l’implantation des EGM sur le territoire est adéquate.
Enfin, considérez-vous qu’il existe une durée d’intervention pour un EGM au-delà de laquelle le stress, la fatigue commencent à poser problème ?
Général Denis Favier. Les escadrons relèvent de la gendarmerie, il s’agit donc d’une force de statut militaire. À ce titre, la notion de temps de travail est prise en compte mais n’a pas de fondement réglementaire. Cette situation pourrait néanmoins changer avec la transposition d’une directive européenne. Reste que nous respectons des temps d’engagement opérationnel : celui d’un escadron est de huit heures ; passée cette durée, la fatigue physique est incontestable, pèse sur les organismes et peut par conséquent avoir une incidence sur l’efficacité opérationnelle. Il existe néanmoins des situations qui, parce qu’elles ne sont pas programmées, s’inscrivent dans la durée et nous empêchent de relever les escadrons engagés. Ainsi, le 31 décembre, si, après le travail réalisé sur les Champs Élysées, des voitures sont brûlées dans les banlieues, il va bien falloir que les escadrons se rendent sur place. Aussi certaines séquences opérationnelles peuvent-elles se révéler plus longues.
Ce statut militaire ne doit pas faire peur car les unités concernées maîtrisent les savoir-faire qui leur permettent de garantir l’ordre public. Et c’est leur formation militaire et leur capacité à agir dans la durée – et la rusticité parfois – qui explique notamment leur présence outre-mer. Je pense au travail considérable des EGM, en Guyane, dans la lutte contre l’orpaillage clandestin – il faut en effet accepter de vivre trois mois à la frontière entre la Guyane et le Brésil dans des conditions difficiles.
J’en viens logiquement à la question de M. Bui. Aucun texte ne prévoit de répartition entre police et gendarmerie outre-mer. Il s’agit d’une demande politique, d’une demande locale : ces unités sont en effet capables de partir longtemps, trois ou quatre mois sans relève.
Autre point, la règle est que les gendarmes départementaux ne participent pas au maintien de l’ordre. Reste que certaines circonstances commandent l’envoi des forces immédiatement disponibles, à savoir, généralement, les pelotons d’intervention des compagnies départementales qui ne sont pas formées au maintien de l’ordre. Elles sont toutefois généralement composées de militaires qui ont servi dans les escadrons de gendarmerie mobile, militaires dont le fond opérationnel est dès lors solide et leur permet d’intervenir efficacement. Mais, j’y insiste, la règle veut qu’il n’y ait pas d’engagement des unités de gendarmerie départementales, hors situation d’urgence, au maintien de l’ordre. Il n’y a pas à transiger : à chacun son métier. En Bretagne, en 2013, des unités territoriales ont dû être engagées en attendant l’arrivée des escadrons, mais cela doit rester exceptionnel et je ne pense pas qu’il faille former la gendarmerie départementale au maintien de l’ordre ni qu’il faille, par conséquent, la doter spécialement même si, dans certains quartiers chauds, pour réagir ponctuellement à une situation inopinée, certaines unités sont équipées de casques et de boucliers.
La question de la répartition des rôles entre préfet et commandant opérationnel est centrale. Les opérations se déroulent mal quand ces rôles ne sont pas précisément définis, quand le préfet se mêle de la conduite opérationnelle et quand le commandant, faute de directives claires de la part de l’autorité préfectorale pense qu’il peut aller plus loin qu’il ne devrait. Le système français fonctionne bien, d’où la nécessité que chacun reste dans son rôle : le préfet définit les objectifs, les effets à produire sur le terrain et, ensuite, il s’appuie sur un patron de forces qui, lui, est libre d’en choisir les moyens. Par exemple, à l’occasion d’une prise d’otage, le responsable de l’opération sera libre des moyens à mettre en œuvre pour atteindre l’objectif dont la définition revient au politique. Nous devons donc engager une réflexion visant à affirmer le rôle de chacun.
En ce qui concerne les gardes statiques, les unités de maintien de l’ordre ne sont pas uniquement dédiées au maintien de l’ordre. Fort heureusement, il existe des périodes calmes et, dans une logique de coût-efficacité, les unités en question doivent participer à des missions de sécurisation, de sécurité publique générale afin de surveiller le territoire, d’occuper l’espace, de rassurer nos concitoyens. Les EGM comme les CRS ont deux missions principales : l’ordre public et la sécurisation. Aussi, les missions de garde statique me paraissent-elles constituer un gâchis de potentiel alors qu’elles pourraient être remplies à moindre coût par des forces locales voire par des sociétés privées. Nous devons également envisager les moyens passifs de protection. Pourquoi sont-ce des gendarmes mobiles qui gardent l’entrée de la Sainte-Chapelle ? Après plusieurs années, je n’ai toujours pas de réponse.
J’en viens à l’interdiction de manifestation. Elle est bien plus complexe à appliquer que l’interdiction de stade. Nous pouvons toutefois nous intéresser à des individus déjà signalés, condamnés et dès lors faire montre de précision dans notre travail d’anticipation et faire en sorte qu’ils ne rejoignent pas un lieu de manifestation.
Il ne s’agit pas, par ailleurs, de mettre en difficulté un organisateur qui met tout en œuvre pour qu’une manifestation se déroule au mieux. Sa responsabilité ne pourra pas être engagée. Ce sont les manifestations inopinées qui nous posent problème et qui sont bel et bien organisées. Il en est ainsi des pique-niques spontanés sur l’esplanade des Invalides, qui certes ne dégénèrent pas ,et où la responsabilité des organisateurs n’est pas engagée . De même , il convient de travailler sur la responsabilité de ceux qui appellent à des rassemblements, des attroupements, et qu’on peut repérer grâce aux réseaux sociaux.
M. Jean-Paul Bacquet. Mon général, vous estimez nécessaire de réviser les méthodes tant l’évolution des techniques et des moyens de communication change la donne. Lors du putsch en Algérie, pendant les événements de Mai-1968, l’élément principal de communication était le poste à transistor qui diffusait des informations en fonction desquelles évoluaient les manifestants. Cette configuration est dépassée : aujourd’hui, nous avons les chaînes d’information continue. Reste que nous avons pu constater, au mois de janvier dernier, le danger que représentait le fait de ne pouvoir maîtriser la communication qui pouvait s’établir entre deux attaques terroristes par le biais des informations données par ces chaînes. Au-delà des textos, des réseaux sociaux, se pose la question du rôle de l’information. On sait très bien que, dans les manifestations, les rumeurs, les manipulations proviennent de fausses informations dont les journalistes à la recherche d’un scoop sont parfois friands.
Ensuite, il existe deux types de manifestations : les manifestations déclarées, organisées par des gens responsables – syndicalistes ou autres –, et les manifestations spontanées – lancées, dans les années 1970, par ceux qu’on appelait les Mao-spontex – avec les organisateurs desquelles il paraît bien difficile d’établir le dialogue.
Vous avez évoqué l’idée de remplacer des gendarmes mobiles par des vigiles. Je comprends bien les problèmes liés aux effectifs mais cela n’a pas tout à fait la même signification. Certains ministères ont été gardés par des vigiles – et Guillaume Larrivé, qui a vécu de près cette situation il y a quelques années, a pu mesurer la différence entre les vigiles et les gendarmes. Si la situation est calme en ce qui concerne les ambassades, cela n’a pas toujours été le cas et je ne suis pas sûr que, dans des conditions délicates, des vigiles puissent remplacer des gendarmes mobiles. Cette considération ne vaut pas, bien sûr, pour la Sainte-Chapelle.
La nécessité du renforcement de la formation de l’autorité civile est évidente, alors que le principe de la délégation va beaucoup moins de soi – si un commandant de groupement a la délégation d’un préfet, cela n’a pas tout à fait la même signification. Il faut à tout prix éviter tout double rôle car, quand surviendront les difficultés, je ne suis pas sûr que chacun assumera pleinement ses responsabilités.
Enfin, vous avez évoqué l’outre-mer où nous savons désormais pourquoi il n’y a plus que des gendarmes et plus de CRS. Je suis très inquiet à ce sujet car la logique de la Cour européenne des droits de l’homme poussera à la syndicalisation des gendarmes qui auront les mêmes exigences que la police et pourront donc ne plus aller outre-mer ou ailleurs. Je souhaite obtenir quelques éclaircissements en la matière.
M. Guy Delcourt. Mon général, vous avez répondu de façon claire et décisive, catégorique même, à la question, soulevée par un ancien directeur du centre de Saint-Astier, de l’intervention de la gendarmerie départementale.
Les CRS bénéficient-ils de la même formation que la gendarmerie ou bien de formations temporaires au centre de Saint-Astier ? Selon certains syndicats, les policiers, dans un contexte de manifestation urbaine, ne sont pas du tout formés aux opérations de maintien de l’ordre mais à des opérations d’interpellation. Qu’en pensez-vous ?
Enfin, vous nous avez présenté dix propositions. Ont-elles été formulées pour cette audition ou bien font-elles partie d’un rapport d’évaluation que vous avez transmis à l’autorité politique ? Si oui, depuis combien de temps, et quels en ont été les éventuelles traductions ?
M. Philippe Folliot. Mon général, je vous apporte un message de soutien à la gendarmerie. On sait que vous travaillez souvent dans des conditions difficiles ; or, en cas de crise grave, la République repose sur deux piliers : la préfectorale et la gendarmerie.
Souvent, les forces de maintien de l’ordre se trouvent face à des situations d’une extrême violence et avec des individus particulièrement déterminés, organisés, avec tout ce que cela implique en matière de protection des forces de l’ordre elles-mêmes. En effet, on utilise contre elles des armes carrément létales. Et même si les manifestants n’ont pas, a priori, la volonté de tuer, la mort peut être la conséquence de l’usage de ces armes. Comment, face à une violence de plus en plus intense, accomplir vos missions dans de bonnes conditions ?
La République se caractérise par la dualité de ses forces de l’ordre, avec, d’un côté, les gendarmes mobiles, à statut militaire, et, de l’autre, les CRS, à statut civil. Or vous nous avez rappelé que cette dualité ne valait pas sur tout le territoire national puisque, outre-mer, seule intervient la gendarmerie mobile. Dans ce cadre, une spécialisation vous paraîtrait-il judicieuse ? Certains ont en effet parlé de « territorialisation » des CRS pour qu’elles soient plus près du terrain et concentrées dans les centres urbains tandis que la gendarmerie mobile conserverait un spectre toujours aussi large.
M. Olivier Marleix. Merci, mon général, pour la grande qualité de votre intervention et pour la pertinence de vos propositions qui illustrent la solidité de votre arme.
Je reviendrai, dans un premier temps, sur la responsabilisation. Le préfet Boucault a évoqué une obligation de concertation préalable – comme elle existe déjà pour les rave-parties. Faut-il aller plus loin, l’organisateur doit-il préciser les modalités de maintien de l’ordre dont il se dote ? S’il ne respecte pas ses engagements doit-on aller jusqu’à interdire la manifestation ? Doit-on renforcer un arsenal de sanctions qui, après tout, existe déjà pour les organisateurs de manifestations sportives qui, aux termes des dispositions du code de la sécurité intérieure, peuvent encourir des peines d’amendes ?
Ensuite, j’ai été convaincu par votre souhait qu’on définisse un protocole : il est évident que l’autorité préfectorale a une responsabilité essentielle puisque c’est elle qui décide d’autoriser ou non la manifestation et puisqu’elle est garante, d’une certaine manière, des accords conclus à l’issue d’une éventuelle concertation préalable obligatoire. Toutefois, la présence physique sur place du préfet ou de son directeur de cabinet me paraît être un élément de confusion dangereux car, par la force des choses, il voudra se mêler du commandement opérationnel pour lequel il n’est pas du tout formé – surtout s’il s’agit du préfet plutôt que de son délégué. J’ai donc du mal à concevoir l’articulation que vous évoquez.
Ma troisième question porte sur l’interdiction administrative de manifester. Le rapporteur s’est lui-même interrogé sur les modalités concrètes grâce auxquelles on empêcherait un individu de se rendre à une manifestation. S’arrange-t-on pour que ledit individu soit convoqué ce jour-là ailleurs ou bien peut-on imaginer un nouveau délit, spécifique, pour ces casseurs, dont la peine garantirait qu’ils ne puissent se rendre sur le lieu d’une manifestation ?
Enfin, j’aimerais en savoir davantage sur la part des effectifs d’EGM affectés aux ZSP et sur la part affectée aux gardes statiques.
M. Guillaume Larrivé. Merci, mon général, d’avoir montré la solidité et le sens du concret qui caractérisent votre arme.
Il était important de rappeler que la réduction du format des EGM engagée entre 2007 et 2012 s’est accompagnée d’une redéfinition des missions – on songe notamment au transfert à la police nationale de l’encadrement des centres de rétention administrative – au point que, vous l’avez souligné, la gendarmerie mobile n’a pas perdu en efficacité.
Pour ce qui est, ensuite, de l’interdiction administrative de manifester, le préfet de police, lors de son audition par cette commission, la semaine dernière, s’est montré très réservé. Comme Philippe Goujon, je pense que nous pourrions élaborer un dispositif prévoyant que les personnes faisant l’objet d’une telle interdiction, à titre préventif – il s’agit bien d’une mesure de police administrative et non d’une mesure de police judiciaire –, soient invitées à pointer dans un commissariat ou dans quelque autre espace administratif afin de s’assurer qu’elles ne se rendent pas sur le lieu de manifestation. Il faut bien insister sur le caractère préventif d’une telle disposition.
Enfin, quelles sont les différences légitimes, utiles, entre le régime d’emploi des armes par la gendarmerie et le régime d’emploi des armes par les fonctionnaires de la police nationale employés fonctionnellement pour des missions de maintien de l’ordre ? Ces différences existent-elles encore vraiment, compte tenu, notamment, de l’effet de la jurisprudence de la Cour de cassation qui les a quelque peu aplanies ?
Général Denis Favier. Incontestablement, monsieur Bacquet, nous devons travailler sur les réseaux sociaux, sur les textos pour éventuellement informer sur les conditions d’exercice du maintien de l’ordre.
Quant au débat sur les informations diffusées en continu, il a commencé en 1994 avec la retransmission par LCI d’images fortes. On a vu le mois dernier à quel point ces retransmissions mettaient les forces de l’ordre dans une difficulté colossale et faisaient par là peser sur nos concitoyens des risques importants. Il faut mener un débat de fond sur la politique générale de communication en situation de crise. Il faudrait définir un protocole très strict entre médias, presse et forces de l’ordre. Ce sujet me tient vraiment à cœur.
M. le président Noël Mamère. Si je puis me permettre, mon général, en tant qu’ancien journaliste je ne pense pas que l’établissement d’un tel protocole règle le problème qui relève bien davantage de l’éthique des journalistes. Il leur revient de savoir quelles informations divulguer et a fortiori dans des situations de crise comme celle que nous avons connues. Il est effrayant de constater qu’on est capable de dire en direct à quel endroit se trouvent les otages alors qu’on sait que le preneur d’otages utilise la télévision. Cette conception du métier est tout à fait condamnable, mais je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’établir un protocole avec les forces de l’ordre. C’est bien, j’y insiste, une question d’éthique dans le cadre d’un régime démocratique.
Général Denis Favier. Cette question doit en tout cas faire l’objet de débats vraiment soutenus.
J’en viens à la garde statique. Il est clair pour moi que tout bâtiment qui relève du domaine régalien doit rester encadré par les forces de l’ordre. Pour le reste, on peut faire appel à des sociétés privées qui n’ont certes pas les mêmes prérogatives mais qui, dans certains secteurs, peuvent exécuter la mission de sécurité dans les mêmes conditions.
M. Bacquet a évoqué les récents arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme qui contestaient l’absence de représentation syndicale dans la gendarmerie. Cette absence est palliée par la création d’associations militaires professionnelles.
Le directeur général de la police nationale, qui doit s’exprimer après moi, pourra vous renseigner sur la formation des CRS. Je suis convaincu que leur niveau de formation est identique à celui des EGM. Je suis en tout cas, pour ma part, tout à fait prêt à les accueillir au centre de Saint-Astier qui offre d’importantes capacités d’entraînement.
Pour ce qui est des manifestations urbaines, nous mettons souvent des forces à la disposition du préfet concerné et, à Paris, du préfet de police dont je crois savoir qu’il en est plutôt satisfait. Évoquer cette question revient à évoquer celle des capacités opérationnelles. Ici aussi, il faut se méfier du mélange des genres. Quelle est la vocation première des unités de maintien de l’ordre ? S’agit-il de tenir un compartiment de terrain ou de procéder à des interpellations ? Si l’on s’en tenait au second terme de l’alternative, on produirait de la confusion dans les esprits. Toutefois, si la mission première reste de tenir le terrain, il convient aussi d’être en mesure de procéder à des interpellations.
Les dix pistes que j’ai présentées s’inscrivent dans une réflexion de fond. Vous seriez surpris – et vous vous en rendrez compte quand vous viendrez à Saint-Astier – de constater à quel point nous conceptualisons le maintien de l’ordre. Notre réflexion est permanente. Aussi nos procédés ont-ils évolué : notre pratique actuelle n’a plus rien à voir avec celle de Mai-1968. Nous recherchons le meilleur équilibre possible entre liberté d’expression et efficacité des forces. Nous pensons et agissons suivant une logique d’adaptation permanente.
Ce point me conduit à revenir sur la protection des hommes, évoquée par M. Folliot. Là aussi nous sommes confrontés à des paradoxes. Si nous renforçons la protection de nos forces, elles seront moins mobiles et du coup incapables de procéder à des interpellations. Si elles sont trop équipées, elles donneront une impression guerrière contradictoire avec l’objectif poursuivi quand on autorise une manifestation. Le maintien de l’ordre est donc un exercice délicat, tout de subtilité. La recherche du meilleur équilibre concerne donc aussi l’équipement des forces.
Vous avez ensuite évoqué la question de la dualité entre la police et la gendarmerie. Elle ne fait plus débat en France. Chacune des deux forces est capable, dans son domaine, d’exercer l’ensemble des missions qui lui sont confiées. C’est pourquoi je suis réticent à l’idée de spécialisation même si les escadrons, là où ils sont casernés, peuvent contribuer à la sécurité publique générale. Ainsi, chaque fois que les escadrons ne sont pas employés au maintien de l’ordre, ils participent à des patrouilles avec la gendarmerie départementale à une mission large de sécurisation, ce qui leur permet de s’ancrer localement.
À la question de la responsabilisation posée par M. Marleix, je répondrai par un souhait. Il faudra bien sûr, si le législateur décidait d’aller dans le sens que j’ai indiqué, prévoir des sanctions adaptées. Dans le même temps, le dispositif ne devra pas être un carcan mais rester souple.
Ensuite, le préfet ne peut pas être présent tout le temps sur le terrain – et c’est même souhaitable – mais il a des délégataires. Et ici, sauf à m’opposer à M. Baquet, je considère que le commandant de groupement peut être ce contact et peut lui-même s’appuyer sur un responsable opérationnel. Il faudra veiller à ne pas élaborer des dispositifs trop contraignants car les situations d’ordre public évoluent très rapidement et il faut pouvoir prendre des décisions tout aussi rapides. Il faudra prendre en compte la logique de séparation des pouvoirs et la combiner avec le souci de l’efficacité opérationnelle.
Un travail législatif important reste à mener concernant l’interdiction administrative de manifester. Il faudra bien sûr que les forces de l’ordre soient à même d’appliquer un tel dispositif.
Trois EGM travaillent en permanence dans les ZSP, une présence qui nous a permis d’obtenir des résultats, c’est-à-dire d’inverser la tendance.
J’en viens à l’évocation par M. Larrivé de la RGPP. Le transfert à la police de l’encadrement des centres de rétention administrative a en partie permis d’en atténuer les effets mais nous avons tout de même perdu quelques escadrons qui font aujourd’hui clairement défaut ; et la France doit disposer d’un volume important d’EGM mais aussi de CRS car nous ne sommes pas à l’abri de graves troubles à l’ordre public. Or nous sommes aujourd’hui en deçà du seuil critique.
Enfin, il n’y a pas de différence entre le régime d’emploi des armes par la gendarmerie et le régime d’emploi des armes par les fonctionnaires de la police nationale. Les quelques différences que l’on peut relever dans les textes ne concernent pas l’ordre public.
M. le président Noël Mamère. Vous êtes, mon général, d’une précision horaire toute militaire. (Sourires.) Nous intégrerons certaines de vos propositions dans le rapport que rédigera M. Popelin.
L’audition se termine à dix heures.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens
Réunion du jeudi 12 février 2015 à 8 h 30
Présents. - M. Jean-Paul Bacquet, Mme Marie-George Buffet, M. Gwenegan Bui, M. Guy Delcourt, M. Philippe Folliot, M. Hugues Fourage, M. Philippe Goujon, M. Meyer Habib, M. Guillaume Larrivé, M. Noël Mamère, M. Olivier Marleix, M. Pascal Popelin, M. Daniel Vaillant, Mme Clotilde Valter
Excusés. - M. Daniel Boisserie, M. Pascal Demarthe